IA symbolique et IA connexionniste : entre expertise et expérience
Aux origines de ce champ de recherche, deux grandes philosophies se sont imposées, et ont ouvert la voie à des approches et expérimentations multiples au fil des 7 dernières décennies, façonnant progressivement ce que nous appelons aujourd’hui l’intelligence artificielle.
L’ère du raisonnement conceptualisé (années 50 à 80) : l’intelligence artificielle via des règles logiques
Lors des premières expérimentations sur l’intelligence artificielle, l’idée intuitive des développeurs était de reproduire un raisonnement humain sous la forme de règles qui, appliquées successivement, aboutissent à un résultat traçable et intelligible (en remontant l’arbre de décision suivi par le programme).
Cette première génération de programmes, dite symbolique, ne cherche pas à imiter toute la complexité de la cognition humaine, mais davantage à cristalliser la logique humaine dans un domaine précis. Elle repose sur la représentation d’un problème par l’homme et sur sa traduction en règles.
Concrètement, cette démarche impliquait :
- L’analyse logique d’une situation par une personne humaine, identifiant les paramètres connus en entrée (ou variables) et résultats attendus ;
- L’élaboration d’un ensemble de règles (algorithme) appliquées à ces variables pour produire une conclusion (un résultat).
C’est la démarche de conception de l’IA dite symbolique.
Cette approche, fondement de tous les programmes informatiques, s’est rapidement heurtée à la complexité du monde réel : si il est possible de modéliser une situation donnée de façon simplifiée et grossière, que se passe-t-il lorsque des centaines, voire des milliers de paramètres interdépendants influencent le résultat, parfois hors du champ de connaissance de l’expert humain ?
La limite ne réside pas seulement dans la puissance de calcul de la machine, mais aussi dans la capacité de l’opérateur humain originel à modéliser un tel système aux innombrables variations.
L’ère de l’intelligence émulée (depuis années 80) : l’intelligence artificielle via des structures bio-inspirées
En parallèle, une autre voie s’est ouverte : et si le raisonnement n’était pas l’application de règles logiques, mais l’issue d’un processus simplement statistique issu de l’adaptation à l’expérience ?
Plutôt que de copier le fond de notre raisonnement logique, cette approche s’est inspirée de la forme d’où émerge nos raisonnements, en étudiant la biologie de notre cerveau.
Les recherches se sont concentrées sur l’architecture du neurone, unité de base du système nerveux. Celui-ci reçoit une ou plusieurs entrées, les traite, puis produit une sortie.
Reproduit artificiellement dans un réseau interconnecté, un neurone unique ne détient pas la logique entière d’un raisonnement, mais son action combinée avec tous les autres permet d’appréhender des informations complexes, nouvelles et subtiles, reproduisant ainsi ce qui est observé dans notre cerveau, siège de nos raisonnements.
C’est la seconde démarche de conception de l’IA dite connexionniste.
David de Michel-Ange
Pour illustrer ces deux approches, prenons un exemple concret : vous êtes apprenti sculpteur et souhaitez reproduire le David de Michel-Ange.
Approche symbolique
Vous disposez d’un bloc de pierre et suivez pas à pas les indications d’un maître sculpteur. Chaque geste est méthodique, dicté par son expertise, et adapté à la matière brute pour atteindre le résultat attendu.
Votre travail reflète la connaissance transmise par un unique instructeur. Vous pouvez ainsi reproduire fidèlement son savoir-faire, mais vos forces et limites resteront éventuellement les siennes. Si vous deviez sculpter une autre figure, votre expérience pourrait se révéler insuffisante si votre précepteur n’a pas anticipé ce cas.
La qualité de votre œuvre dépend donc directement de celle de votre instructeur.
Approche connexionniste
Imaginons maintenant que vous n’ayez pas un seul maître, mais que l’on vous remette un catalogue d’images et vidéos de sculptures réalisées par des artistes du monde entier, à différents stades de leur création.
Vous n’êtes plus guidé étape par étape dans une voie unique, mais serez amenés, en observant et expérimentant, à choisir les techniques, gestes et résultats qui vous semblent les plus pertinents pour avancer et atteindre le résultat que vous imaginez.
Ce processus est plus long, parfois moins précis, mais il permet d’intégrer une multitude de pratiques et d’en faire émerger un style personnel.
La qualité de votre sculpture dépend alors de la richesse du catalogue et de votre capacité à en extraire les informations utiles.
Ces deux philosophies, complémentaires et tout à la fois fondamentalement différentes, ont marqué la création de l’intelligence artificielle et gouvernent encore les travaux actuels dans le domaine, en croisant nos compréhensions des notions d’expertise et d’expérience.
Nous sommes au tout début d’une avancée majeure dans l’utilisation et la démocratisation d’une technologie qui, sous de multiples aspects, révolutionne les notions de création de valeur et d’expertise, et nous aborderons lors du prochain article la révolution qui s’est lancée dès les années 2010, pour ensuite s’étendre largement depuis les années 2020 : l’IA Générative.